Une version courte de cette lettre est parue l’édition du 10 novembre du journal Le Devoir.
Vieillir en bonne santé, préserver son autonomie et vivre chez soi le plus longtemps possible, tout en contribuant activement à la société, n’est-ce pas là ce que nous souhaitons tous, pour nos proches comme pour nous-mêmes ? Or, dans le réseau de la santé actuel, avec ses listes d’attente, ses « fax », la pénurie de main-d’œuvre et les difficultés d’accès aux services, il semble de plus en plus difficile de pouvoir concilier ces aspirations et la réalité.
Et l’évolution démographique ne va pas améliorer la situation. Le Québec compte aujourd’hui plus de 750 000 aînés de 75 ans et plus et 35 000 s’ajoutent chaque année. Dans 20 ans, notre société en comptera 1,5 million. Il y a quelque chose d’implacable dans cette croissance, bien prévisible d’ailleurs, que certains pourraient qualifier de « gériageddon ». Pensons simplement à ce qui s’est passé dans les CHSLD pendant la pandémie. Il est trop tôt pour crier à la catastrophe, mais nous n’avons certainement pas le luxe d’attendre.
Au Québec, nous avons beaucoup compté sur nos institutions pour garantir notre santé, trop peut-être ? Qu’il s’agisse de la cause ou de l’effet, n’en demeure pas moins que selon l’INSPQ, 60% des adultes Québécois ne possèdent pas un niveau de littératie en santé suffisant pour prendre bien soin d’eux-mêmes (voir référence). Il y a donc là une opportunité majeure d’améliorer le sort d’un grand nombre en impliquant davantage les aînés, leurs proches et les communautés dans l’équation.
C’est cette vaste mobilisation que nous proposons depuis près de 10 ans avec la gériatrie sociale, une approche axée sur la prévention de la perte d’autonomie dans les milieux de vie. Dans les dernières années, plusieurs communautés ont répondu à cet appel à contribuer à la santé des aînés. En plus des 6 projets pilotes soutenus par le MSSS, 12 autres territoires ont adhéré à l’approche de gériatrie sociale pour renforcer le filet de sécurité autour des personnes vieillissantes.
Plus de 5000 personnes ont reçu des formations offertes gratuitement par la Fondation AGES pour mieux comprendre le vieillissement et savoir quand il faut agir pour éviter de perdre son autonomie. Notre ambition est de former 25 000 personnes comme sentinelles en gériatrie sociale d’ici 2027 et que celles-ci contribuent à améliorer la santé de leur entourage et contribuent à alléger la pression sur les services.
La prévention avant toute chose (l’exemple des chutes)
Le réseau de la santé semble désormais pris dans un cercle vicieux où la pression croissante sur les ressources humaines et matérielles force le respect de procédures d’accès aux soins et de priorisation basées sur la gravité de la situation. Pas le choix. Pourtant, nombre de futurs problèmes de santé urgents ou graves n’apparaissent pas du jour au lendemain et ne constituent que la pointe de l’iceberg ! Ils ont souvent mijoté longtemps au stade « non prioritaire » avant de devenir priorité. Bien que complexes, ces problèmes « non prioritaires » peuvent être réglés simplement. Un bon exemple de ce que permet la prévention et l’approche proposée par la Fondation AGES, est celui de la prévention des chutes.
Au Québec, chaque année, jusqu’à un aîné de 65 ans et plus sur trois (33%) fera une chute tandis qu’un sur cinq (20%) fera une chute qui aura un impact négatif sur son autonomie (voir référence). Ces chutes engendrent chaque année des « situations prioritaires » pour le réseau de la santé : plus de 6% de toutes les visites à l’urgence, 84 000 transports ambulanciers, 21 000 hospitalisations (dont 35% concernent des fractures de la hanche), des soins médicaux pour des blessures pour presque 50 000 aînés. Au bas mot, les chutes représentent plus d’un milliard en coûts de système. Et génèrent souffrance et inquiétude…
Maintenant, attardons-nous au sort réservé aux quelques 300 000 ainés n’ayant pas suivi le chemin de l’hôpital après une chute. Mis à part certains plus diligents qui pourront bénéficier des conseils de leur médecin de famille à ce propos, force est de constater que très peu d’énergie est investie pour s’assurer que tous les autres ne se retrouvent pas bientôt du mauvais côté des statistiques. Que faire alors ? Surtout sachant que le principal prédicteur d’une chute est d’avoir une chute à son actif dans l’année !
Ce que nous proposons avec la gériatrie sociale est de deux ordres. D’abord, il faut éduquer davantage la population, les aînés eux-mêmes en premier lieu et ensuite leur entourage (familles, proches, etc.) et faire en sorte qu’un message très clair en ressorte: faire des chutes à un certain âge n’est pas normal, cela cache souvent quelque chose qui peut avoir des conséquences très graves sur l’autonomie et la qualité de vie. Parlez-en à un professionnel de la santé et informez-vous sur les gestes qui sont à votre portée et que vous pouvez poser vous-mêmes pour préserver votre autonomie ou celle d’un proche.
Ensuite, il faut développer davantage la prévention active en communauté et à domicile. Des interventions de promotion-prévention peuvent réduire les chutes de manière significative : faire des exercices pour améliorer force, flexibilité, capacité d’aérobie, équilibre, démarche; adapter son environnement pour le rendre sécuritaire; faire évaluer (et corriger) sa vue; vérifier si on a de l’hypotension orthostatique (baisses de pression); s’informer de la possibilité de réduire son nombre de médicaments (particulièrement les somnifères et autres psychotropes). Personne n’a besoin de permission pour mettre ces éléments en pratique. C’est ce que la Fondation AGES a mis de l’avant dans les 5 dernières années en implantant des équipes d’intervenants communautaires qui sont outillés notamment pour prévenir les chutes à domicile.
La gériatrie sociale : où en sommes-nous ?
L’approche de gériatrie sociale que nous prônons peut contribuer à un meilleur avenir pour les aînés du Québec, mais nous sommes toujours dans l’antichambre, pris dans une dynamique de projet-pilote avec un MSSS qui tarde toujours à étendre l’approche au reste du Québec.
La qualité de vie des aînés doit être l’affaire de chacun. Néanmoins, il faudra que les autorités mettent la main à la pâte et s’activent pour s’assurer que tous les proches aidants, que tous les aînés en bonne et moins bonne forme et que tous les citoyens et citoyennes qui se sentent concernés puissent prendre leur vieillissement en main. En attendant nous continuerons à offrir des formations, à développer des contenus et à faire la promotion de notre approche et ainsi faire en sorte que de moins en moins d’aînés se retrouvent par terre ou dans une ambulance pour quelque chose qui aurait facilement pu être évité par une personne informée. Mieux vaut prévenir que guérir.
Stéphane Lemire, interniste-gériatre et président fondateur de la Fondation AGES
Élie Belley-Pelletier, directeur général de la Fondation AGES
155 boulevard Charest Est, 1er étage
Québec, QC G1K 3G6